Posté le 4 novembre 2021
Rivière fluctuante, rivière vivante
De sa source à sa confluence avec un fleuve, la rivière sculpte les vallées, façonne le paysage en s’y frayant un chemin. Mais qu’est-ce qui détermine ce tracé ? Alors que ces structures naturelles nous semblent si immuables, comme faisant partie intégrante du paysage figé des Vosges du Nord, des forces imperceptibles sont à l’œuvre, leur dictant des mouvements silencieux.
Comme la branche d’un arbre aux centaines de ramifications, la rivière est une composante élémentaire d’un système complexe : le bassin versant. D’affluents en affluents, le système se gorge de l’eau des sources et de la pluie qui s’y injecte par ruissellement. La gigantesque masse liquide libère, en se déplaçant, une énergie colossale, dont une partie se disperse en érodant la roche et en déplaçant les sédiments qui en sont issus. Creusant patiemment le lit des rivières, la force dégagée est celle face à laquelle doivent s’adapter les nombreux organismes qui s’y développent.
De l’amont vers l’aval, la composition chimique et biologique d’une rivière évolue au fil de son parcours et des organismes qu’elle croise. Aux seuls minéraux qu’elle contient à sa source, s’ajoutent bactéries et diatomées qui se contentent de ces éléments pour survivre. En aval, la rivière récolte les matières mortes générées par les écosystèmes qu’elle traverse. La décomposition de ces éléments enrichit l’eau en éléments nutritifs, attirant de nouvelles communautés végétales et animales. Le cumul des déchets produits par ces communautés de l’amont permet l’émergence d’organismes filtreurs qui se nourrissent des particules en suspension dans l’eau. La rivière n’est donc pas qu’un écosystème homogène. C’est une succession de mondes, aux limites floues et surtout mouvantes. Ses habitants évoluent ainsi dans un système les mettant continuellement à l’épreuve de ses fluctuations.
Un système dynamique
En fonction de la taille des sédiments, de la profondeur du cours d’eau, de la nature des berges, de la pente et du débit, la rivière se décline et peut prendre des apparences plus ou moins accueillantes. Le changement d’un seul des paramètres à un point du cours d’eau conduit à une évolution de sa morphologie, et à ce titre, les crues rythment profondément la vie de la rivière. Comme une bouffée d’air emplissant un poumon, les pluies diluviennes saturent périodiquement le réseau hydrologique. Le lit, en s’élargissant, se pare d’une forme nouvelle, bouleversant du même coup les habitats aquatiques. La berge devient lit, et l’immergé émerge. La rivière se conçoit alors comme une succession d’équilibres dynamiques, le flux s’adaptant continuellement à de nouvelles perturbations naturelles. Les structures humaines qui empêchent sa respiration témoignent d’une très faible adaptation à ces rythmes naturels. L’image d’un cours d’eau droit et figé est une illusion que l’humain a tenté d’imposer en contraignant la libre évolution du lit de la rivière. La diversité d’habitats que garantissait le brassage régulier des sédiments s’efface alors, comme la biodiversité qui lui est associée. L’état de ces cours d’eau paisibles peut sembler immuable, mais l’évolution de ce système, discrète, irrépressible et indispensable pour une eau de qualité, continue d’en écrire l’histoire.