Posté le 3 novembre 2021, mis à jour le 10 novembre 2023
L’eau, par delà les frontières du Parc naturel régional des Vosges du Nord
Des tourbières du pays de Bitche à la Zinsel du sud, traversant les forêts percées de ruisseaux, le Parc naturel des Vosges du Nord est façonné par l’eau. Des siècles d’histoire ont contribué à sculpter ce paysage débordant de vie et à lui conférer son identité. À la frontière entre patrimoine écologique, géologique et historique, la place de l’eau dans le territoire des Vosges du nord concentre une belle diversité de regards.
Le Parc naturel régional des Vosges du Nord est une terre de frontières. Scindé en deux par la limite entre la Moselle et la Collectivité européenne d’Alsace, lié à l’Allemagne par la Réserve de biosphère transfrontière ; ce territoire se place comme un véritable trait d’union géographique. À la croisée des mondes, un élément en particulier nie l’existence physique de telles frontières humaines. L’eau des nombreuses sources et résurgences du Parc, qui s’écoule irrémédiablement vers l’extérieur par un dense chevelu de ruisseaux, fait du Parc une terre dont l’impact se lit au-delà de ses délimitations.
A l’origine, le grès
Dans les Vosges du Nord, l’eau et le grès sont complices depuis la nuit des temps. De leur jeu, ils façonnent les paysages par les centaines de kilomètres de ruisseaux qui jalonnent les vallées du Parc. Les grès, roches sédimentaires formées par les dépôts de grands fleuves du temps des dinosaures, se dégradent comme ils se forment : grain par grain. Hier elle déposait les sédiments, aujourd’hui l’eau cisèle la roche pour donner naissance aux vallées encaissées, aux pitons rocheux et aux cuvettes du Pays de Bitche.
Ici, l’importante couverture forestière et les sols sableux facilitent l’infiltration des pluies, permettant à l’eau de transiter lentement dans les interstices de la roche. Lorsque le grès est saturé, l’eau s’échappe, s’écoule à nouveau en surface par le biais de sources et de résurgences, comme jaillissant des sables. Au contact de la roche qu’elle érode, elle s’enrichit d’une empreinte chimique particulière. Légèrement acide, chargée en fer et en aluminium, elle s’écoule en autant de fins ruisselets, affluents des principales rivières qui rythment le territoire du Parc. Le parcours qui s’annonce fera apparaître une signature chimique complexe, chargée d’histoire.
Une mémoire humaine
Les cours d’eau sont une mémoire des activités humaines, aussi bien passées que présentes. Depuis la révolution industrielle, la région a vu fleurir nombre d’industries, au point que le travail du métal, du verre et du cristal aient été érigés au statut de spécialités régionales. Le déclin et la disparition apparente d’une part de ces activités ne laisse pas présager de leur subsistance dans les rivières du pays. Pourtant, les métaux utilisés pour ces processus ont bel et bien laissé une trace pérenne dans les cours d’eau de la région. Le plomb, le cuivre ou le cadmium sont ainsi détectés des décennies après l’arrêt des émissions polluantes. La pisciculture et la culture du bois ont aussi marqué le territoire d’ouvrages aujourd’hui intégrés aux paysages. Notamment, le commerce du bois a été marqué par une période de transport des buches dit à «billon perdu», qui consistait à faire flotter le bois des forêts des Vosges du Nord jusqu’aux armateurs hollandais via le Rhin. Cette pratique a nécessité le recalibrage des rivières principales, telle que la Zinsel du Nord. La linéarisation du lit des rivières ou la multiplication des étangs de barrage sont autant de structures héritées de siècles d’exploitation des ressources naturelles du territoire.
La place stratégique qu’occupe le périmètre du Parc justifie également d’un patrimoine hérité d’activités militaires, qui ont toujours trait aujourd’hui : les signatures chimiques d’armes, de bombes et de cartouches sont détectables chimiquement. La ligne Maginot aquatique, patrimoine historique ayant contribué à la linéarisation des cours d’eau, pose aujourd’hui l’épineux dilemme opposant l’importance de la mémoire historique face à celle de la préservation des écosystèmes.
Une histoire qui reste à écrire
Les multiples ruisseaux de têtes de bassin versant qui constituent la mosaïque hydrographique du Parc lui octroient une responsabilité quant à la qualité de l’eau déversée vers l’aval. En 2000, la Directive Cadre sur l’Eau détermine les grands axes d’amélioration de la gestion de la ressource en eau et fixe une date butoir : 2027. Suite à l’expression de cette volonté politique, la charte du parc de 2011 s’adapte et prend les mesures qui s’imposent. Cet engagement pousse à la création d’un observatoire de la qualité des cours d’eau pour comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les perturbations qui entachent les rivières et ainsi mieux les affronter. L’histoire des cours d’eau des Vosges du Nord est encore en pleine écriture. Et, dans cette histoire, ondulant toujours à la frontière entre nature et humains, la rivière ne demande qu’à retrouver sa place de trait d’union.